Rancière : Le destin des images
«Mon titre pourrait laisser attendre quelque nouvelle odyssée de l'image, nous conduisant de la gloire aurorale des peintures de Lascaux au crépuscule contemporain d'une réalité dévorée par l'image médiatique et d'un art voué aux moniteurs et aux images de synthèse. Mon propos pourtant est tout différent. En examinant comment une certaine idée du destin et une certaine idée de l'image se nouent dans ces discours apocalyptiques que porte l'air du temps, je souhaiterais poser la question: est-ce bien d'une réalité simple et univoque qu'ils nous parlent? N'y a-t-il pas, sous le même nom d'image, plusieurs fonctions dont l'ajustement problématique constitue précisément le travail de l'art?». Jacques Rancière.
Les cinq textes ici réunis ont en commun de poser des questions. Les interrogations des quelques lignes qui précèdent ouvrent l'essai-conférence qui donne son titre au livre : Le destin des images. Dans la phrase, l'image, l'histoire, ce sont les Histoire(s) du Cinéma de Godard qui servent à questionner la relation entre la puissance des mots et celle du visible. La peinture dans le texte déplace le terrain du jeu: «“ Trop de mots.” Le diagnostic se répète dans tous les lieux où l'on dénonce soit la crise de l'art, soit son asservissement au discours esthétique: trop de mots sur la peinture, trop de mots qui commentent et dévorent sa pratique, habillent et transfigurent le “n'importe quoi” qu'elle est devenue ou se substituent à elle dans les livres, les catalogues et les rapports officiels, jusqu'à gagner les surfaces mêmes où elle s'exposait et où, sa place, s'écrit la pure affirmation de son concept, l'auto-dénonciation de son imposture ou le constat de sa fin. Je n'ai pas l'intention de répondre à ces assertions sur leur terrain. Je voudrais plutôt m'interroger sur la configuration de ce terrain et sur la manière dont les données du problème y sont disposées.» Les ambivalences du graphisme est entièrement construit sur une étrange question en forme de devinette: «Quelle ressemblance y-a-t-il entre Stéphane Mallarmé, poète français écrivant en 1897 Un coup de dés jamais n'abolira le hasard , et Peter Behrens, architecte, ingénieur, designer allemand qui, dix ans plus tard, s'occupe de dessiner les produits, les publicités et même les bâtiments de la compagnie d'électricité AEG?»
Enfin, s'il y a de l'irreprésentable s'ouvre sur la question ébauchée par le titre même: «La question posée par mon titre n'appelle évidemment pas de réponse par oui ou par non, elle porte bien plutôt sur le si : quelles conditions peut-on déclarer irreprésentables certains événements? À quelles conditions peut-on donner à cet irreprésentable une figure conceptuelle spécifique? Bien sûr, cette investigation n'est pas neutre.» On l'aura compris-et les lecteurs de Rancière s'en doutaient déjà - aucune des investigations qui composent ce livre n'est neutre.