Bouillier : Cap Canaveral
A la deuxième personne du singulier, Grégoire Bouillier ressuscite le souvenir vibrant de l’aventure d’une nuit. Lors d’un colloque littéraire il rencontre pendant la séance de signature une jeune lectrice ici nommée V “pour qu’on ne puisse pas la reconnaître” et, en même temps, “qu’on ne puisse pas la confondre avec un personnage fictif”. Séduit par le charme et l’érotisme qui se dégage de cette toute jeune fille, le narrateur (qui ne cache pas son goût pour l’Aventure) se laisse entraîner dans les dédales de la ville, jusqu’à ce qu’elle l’emmène chez elle, autrement dit dans l’appartement familial. Mais ce qui pourrait n’être qu’une furtive aventure entre un écrivain d’âge mûr et une Lolita déguisée en groupie va basculer dans un tout autre registre. Le silence que V lui impose avant d’entrer, la lente traversée de l’appartement toute lumière éteinte... confèrent un tour fantastique à l’aventure. Le narrateur comprend que quelque chose ne tourne pas rond et qu’il devient malgré lui le complice de cette enfant qui, peut-être, souhaite se décharger d’un secret trop lourd à porter. Jusqu’à la résolution de l’énigme, à la fois bouleversante et scandaleuse : car ce n’est pas dans sa chambre que V conduit le narrateur, mais dans celle de sa mère en train de “dormir dans l’ombre”. Là, V révèle au narrateur son secret, “le romanesque de son existence”… Par une écriture sur le fil du rasoir, dense, rapide et drôle, Grégoire Bouillier tient le lecteur en haleine. Il aborde, avec finesse, pudeur et une franchise désarmante, les marges de la sexualité. Ce missile littéraire nous emporte jusqu’au bord d’un trou noir empli de sensations haletantes. Un récit plein d’émotion qui n’attise pas moins les réflexions sur la façon de raconter une histoire à l’époque de l’hypervitesse ainsi que sur la complexité du désir et des rapports humains (un homme plus âgé et une très jeune fille, une fille qui caresse sa mère...). Grégoire Bouillier dévoile, ici aussi, le rôle clé que joue la littérature dans l’existence en général et dans la sienne en particulier.