D'Eramo : Le détour
Le détour (1953-1979)
Publié pour la première fois en 1979, Le Détour est le fruit de vingt-cinq années d'écriture. Il relate le parcours de Luce d'Eramo qui, élevée dans une famille de dignitaires fascistes, partit de son propre chef en Allemagne en 1944 pour intégrer un Lager, un camp de travail nazi. S'il demeure méconnu en France, Le Détour rencontra immédiatement en Italie un immense succès et connaît depuis quelques années une nouvelle vague de traductions dans le monde entier. La force de ce texte - qui traque sans complaisance les travestissements de la mémoire - le rattache aux plus grands témoignages de femmes sur l'expérience des camps, tels ceux de Charlotte Delbo et de Ruth Klüger.
« J'avais dix-huit ans quand le gouvernement Badoglio, à la suite de l'armistice du 8 septembre 1943, s'est retourné contre son allié en pleine guerre et que les rafles allemandes ont commencé. Une confusion d'idées, une épouvante indicible, chacun livré à soi-même et se cachant comme si les idéaux d'avant étaient devenus des crimes et les serments passés des paroles en l'air. Alors j'ai voulu me mettre à l'épreuve, vérifier si moi aussi je ferais marche arrière devant le premier obstacle. Je m'essoufflais comme aujourd'hui à chercher ce qu'il y avait de mieux à faire. Une idée, rejetée, une autre idée, rejetée, j'ai fini par comprendre que la seule façon de saisir la vérité entre fascistes et antifascistes - on en racontait tant et tant qu'on ne s'y retrouvait plus - était de juger par moi-même. Or le mieux, pour me rendre compte, n'était-ce pas daller sur les lieux dont on parlait sur tous les tons : les camps nazis ? Alors, le 8 février 1944, j'ai fui de la maison et me suis engagée comme simple ouvrière volontaire en Allemagne, avec les portraits de Mussolini et d'Hitler dans mon balluchon, sûre de mon affaire. »