Saumont : C'est rien, ça va passer
«Je vous coupe les queues a dit la marchande de fruits et légumes serrée à déborder dans son corsage. J'ai été tenté de répondre que j'en avais qu'une et ne tenais pas à ce qu'on me la coupe je n'ai pas osé. Enfonçant dans mon sac Franprix mes poireaux équeutés j'ai dit merci. Pas facile de se comporter en mec vulgaire et marrant quand on a pas l'habitude. Quand on est considéré comme un homme sérieux et bien élevé. Les poireaux pour une soupe (aux poireaux) qu'il s'agissait de préparer d'urgence. À cause de la gamine. La Zouze. Ma fille. Sa mère me l'a expédiée au week-end. Mariane veut se libérer pour aller pratiquer le squash. Dans la nouvelle salle du centre de loisirs. Avec son nouveau copain. Et la petite a toujours dit depuis qu'elle a l'usage de la parole que la soupe c'est bon pour les enfants, d'accord, mais le potage en brique – Knorr ou Liebig ou quoi – non elle aime pas. J'aime pas, elle lance. Et c'est réglé. Ça signifie inutile d'insister donne-moi des nouilles. Si je l'écoutais elle ne mangerait que des nouilles. Je ne vais pas rendre demain soir à sa mère une gamine de huit ans au ventre bourré de pâtes. Même fraîches. Bonne journée chez papa? Ouais. T'as bien mangé? Ouais, des nouilles. Ce sera classé encore une fois à la rubrique Incompétence du père.»
Traductrice durant vingt ans, notamment de Salinger, Annie Saumont ne se consacre aujourd’hui qu’à l’écriture et avoue que toutes ses tentatives romanesques ont abouti… à une nouvelle de dix pages. Avec une quinzaine de recueils publiés, dont la plupart couronnés de prestigieux prix littéraires, elle est considérée comme l’une des grandes nouvellistes françaises. Son œuvre, singulière et rayonnante, est appréciée par un très large public, traduite dans le monde entier et étudiée dans les collèges, lycées, et universités européennes et américaines.