Postel : Les deux pigeons
« Interdite, le regard allant et venant du chèque qu’elle venait de recevoir à celui qu’on lui demandait de signer, Dorothée déglutit ; sa langue, ses joues, son palais, tout imprégnés de tanin, avaient la sécheresse d’une marmite oubliée sur le feu. […] À l’évidence, il s’agissait d’une coutume solidement enracinée : c’était au lauréat d’inviter le jury, cela se faisait. Cela semblait si naturel à ces messieurs que Dorothée eut un doute : elle ignorait, peut-être, les usages du monde ? Combien de fois déjà avait-elle commis, par naïveté, des gaffes ! La peur de provoquer un incident, de gâcher la soirée de Gazengel, de compromettre sa propre réputation (ces gens-là avaient des connexions, des réseaux, pouvaient, d’un mot, faire et défaire des carrières), acheva de la convaincre. Elle écrivit donc un chèque de 4 964 euros, le remit au maître d’hôtel, se leva, bredouilla en rougissant quelques mots d’adieu. “Au revoir, mon petit ! Et merci pour ce moment, comme dirait Mme Trierweiler !”
»Comme les pigeons de la fable, Théodore et Dorothée s’aiment d’amour tendre. Cela ne les empêche pas de s’interroger : comment se divertir? Se nourrir? Que faire de ces deux corps? À quoi se consacrer? Faut-il «fonder une famille», travailler, «s’indigner»? Comment font les autres? Autant de questions qui surgissent au fil de cette odyssée des manières de vivre. Roman d’un couple d’aujourd’hui, Les deux pigeons est aussi une peinture de la société française des années 2000 et de la génération qui arrive alors à l’âge adulte. Génération pigeonnée, souvent dénigrée pour son manque de flamme, dont le portrait est ici électrisé par une ironie oblique qui rend les personnages à la fois comiques et formidablement attachants.