Simon : Le cheval
(deutsche Übersetzung von Eva Moldenhauer: "Das Pferd")
– Qu’est-ce que tu préférerais, dit-il : mourir de faim ou mourir de cafard ?
– Mourir d’amour, dis-je.
– Déjà vu mourir quelqu’un comme ça ?
– Non, dis-je. Si, dans les livres : Tristan.
– Ce n’est pas d’amour qu’il est mort, c’est de ne pas pouvoir le faire. Et puis ne me parle pas de ce sale cochon de Nazi.
– Il y en a qui en meurent, dis-je.– Du Nazisme ?
– Du Nazisme bien sûr, dis-je. Mais je parlais de l’amour.
– Ah ! dit-il. Qui ça ?
– Les vérolés.
– Tu en es sûr ? dit-il. Tu en as vu ?
– Non, dis-je. Mais je l’ai lu.
– De combien de choses es-tu sûr que tu n’aies pas lues ?
– D’être vivant.
Publié dans Les lettres nouvelles, en février et mars 1958, et jamais réédité depuis, Le cheval est le premier jalon de l’histoire du cavalier-brigadier rescapé des Flandres durant la débâcle de quarante que Claude Simon n’a eu de cesse ensuite de recomposer, à commencer par La route des Flandres, qui paraît deux ans plus tard. II serait pourtant bien réducteur de considérer Le cheval comme un simple brouillon du roman à venir.
Ce “pur cristal taillé, facetté avec art”, comme l’écrit Mireille Calle-Gruber dans sa postface, est un récit singulier et autonome, qui éclaire magistralement l’œuvre de Claude Simon, couronnée en 1985 par le prix Nobel de littérature.