Rancière : La haine de la démocratie
Nous vivons aujourd'hui dans des pays qui se baptisent « démocraties ». Le discours officiel chantait naguère les vertus de ce système, opposé à l'horreur totalitaire. Ce discours n'a plus cours aujourd'hui, même s'il arrive que des armées soient envoyées promouvoir la démocratie autour du monde. En France en particulier, un parti intellectuel auquel sa place dans les médias donne un pouvoir inconnu ailleurs n'en finit pas de dénoncer les méfaits de l'« individualisme démocratique » qui mine les bases de la vie civique en détruisant les valeurs collectives et les liens sociaux, et les ravages de l'« égalitarisme » qui mène droit vers un nouveau totalitarisme. D'autres découvrent dans la démocratie des penchants criminels, trouvant son origine dans la Terreur et son accomplissement dans l'extermination du peuple juif.
Ces critiques contradictoires mais convergentes ont une cause commune : le caractère profondément scandaleux du « pouvoir du peuple ». La démocratie, gouvernement de tous, est le principe qui délégitime toute forme de pouvoir fondée sur les « qualités » propres de ceux qui gouvernent. Fondée sur l'égalité de n'importe qui avec n'importe qui, la démocratie n'est ni une forme de gouvernement qui permet à une oligarchie politico-financière guidée par ses experts de régner au nom du peuple, ni cette forme de société que règle le pouvoir de la marchandise. Elle n'est portée par aucune nécessité historique et n'en porte aucune. La chose a de quoi susciter de la peur, donc de la haine, chez ceux qui sont habitués à exercer le magistère de la pensée. Dans ce livre, Jacques Rancière décrit les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation et aide à retrouver, derrière les tièdes amours d'hier et les déchaînements haineux d'aujourd'hui, la puissance toujours neuve et subversive de l'idée démocratique.
"L'argument est fort, et mérite un vrai débat. Il traverse l'œuvre exigeante de l'implacable Jacques Rancière (...) mais jamais il n'avait été exprimé aussi simplement et avec une telle véhémence, que dans ce mince opuscule (...). Ce qui rassemble finalement les tocquevilliens et autres aroniens d'aujourd'hui toujours prompts à dénoncer "l'individualisme démocratique" et les marxistes orthodoxes d'hier qui ne pensaient qu'en "masses" et en "totalités" n'est autre qu'une même "haine de l'égalité", un dégoût pour cette insulte à la belle science politique que serait la légitimité démocratique en tant qu'elle est surtout "absence de légitimité"."
Livres hebdo, François Cusset, sept. 2005