Bident : Koltès, le sens du monde
Avoir le sens du monde ne signifie pas détenir le sens du monde. C’est même à se défaire d’une série d’approches totalisantes de l’existence que Koltès put en venir à exercer ce sens, que je tiens davantage pour un don sensible que pour un pouvoir de signification : un sens de l’intuition, de la disposition, un mélange de savoir, de savoir-faire et de flair, une grâce qui demande à la fois de se tenir proche du réel, en avant-scène, et au loin, au lointain. C’est parce que jamais Koltès n’aura voulu donner sens au monde, parce qu’il se sera toujours dépris, si l’on veut, des grands récits, parce qu’il ne se sera jamais soucié du sens et de l’interprétation, mais qu’il lui sera resté quelque chose du désir de « changer la vie », que sa posture devant le monde aura manifesté un désir d’infiltration, de pénétration, d’immixtion au sein du sens du monde qu’est le monde lui-même. En ce sens, il aura été l’exact contemporain non seulement de la mondialisation du monde, mais aussi des interrogations les plus fortes qu’on puisse lui adresser.
Professeur de théâtre à l’université de Picardie-Jules Verne, où il dirige l’UFR des Arts, Christophe Bident a publié plusieurs livres critiques. Ses projets visent à une réflexion critique sur la notion de post-dramatique et à l’élaboration d’une théorie de la mise en scène contemporaine.