Boucheron : Conjurer la peur. Sienne 1338. Essai sur la force politique des images
Vous ne connaissez peut-être pas son nom mais vous l’avez déjà vue. On l’appelle « fresque du Bon gouvernement ». Ambrogio Lorenzetti l’a peinte dans le palais communal de Sienne en 1338, dix ans avant que la Peste noire ne le précipite dans la mort. Elle captive aujourd’hui encore par le foisonnement de ses détails et la force de ses allégories. Mais comment rendre compte de son mouvement d’ensemble ? Sur le mur nord siègent les figures allégoriques du « Bon gouvernement ». À l’ouest, une longue paroi étale sa réplique funeste, la cour des vices, et une cité en proie aux flammes de la haine sociale. À l’est, au contraire, se déploie une peinture majestueuse de la ville en paix et de ses campagnes.
En rendant l’œuvre au climat d’urgence qui l’a suscitée et qui lui donne sens, Patrick Boucheron lui restitue sa fraîcheur et sa puissance, son sens politique et son actualité. Dans les années 1330, la commune de Sienne est menacée par la seigneurie c’est-à-dire par cette forme de gouvernement personnel qui subvertit les principes républicains de la cité. Comment résister à la tyrannie, éteindre le brasier de la guerre et réapprendre l’art de bien vivre ensemble ? Pour survivre dans son intégrité politique, la commune doit persuader de sa légitimité, et surtout de ses bienfaits. Car ce qui fait le bon gouvernement n’est pas la sagesse des principes qui l’inspirent ou la vertu des hommes qui l’exercent. Mais ses effets concrets, visibles et tangibles sur la vie de chacun. La fresque de Lorenzetti est le récit fiévreux d’un combat politique jamais gagné d’avance, toujours à recommencer.