Meurisse : Neverdays
On avait rendez-vous au bar d'un grand hôtel. Son regard me transperce comme un rayon de soleil à travers les nuages. Une belle éclaircie. La journée s'annonce magnifique. Je suis dans une forme o-lym-pique. Je fais signe au serveur de m'apporter une nouvelle coupe pour rincer les petits canapés. J'ai une seconde pomme d'Adam en formation. Agacé par ma distraction, mon agent se retourne également et croise le regard du serveur. Celui-ci lui adresse un sourire interrogateur avec deux question marks en guise d'yeux ?_ ? Trop poli pour refuser, il acquiesce et nous voilà devant deux coupes étincelantes. Le serveur s'éloigne, la conversation reprend. Ou plutôt "commence", de mon point de vue.
Acteur au sommet de sa gloire, le narrateur jouit d'un grand pouvoir de séduction. Pourtant, lorsqu'il découvre une clinique proposant à des clients fortunés de changer d'apparence pendant 48 heures grâce à une injection d'ADN, il se laisse tenter, manière pour lui de réapprendre les joies de l'anonymat. C'est alors que, sous les traits de cet alter ego "sans qualités", il tombe amoureux et décide d'incarner véritablement cet autre, malgré les dangers que cela peut entraîner. Inévitablement, son état physique et mental se dégrade. Le désir effréné d’être cet homme ordinaire le fait basculer "de l'autre côté du miroir". L'acteur finit par s'identifier totalement à ce rôle que lui a dévolu le hasard. Dans cette ronde des identités bouleversées, le lecteur rentre dans la peau de cet homme, subit lui-même cette métamorphose kafkaïenne… Alizé Meurisse mélange les genres en un vertigineux entrelacs de boucles et de jeux de miroirs inversés. Elle aborde par le détour du récit fantastique, voire du conte moral, la complexité des rapports entre les sexes et systématise le jeu des apparences. Si elle transpose au XXIe siècle Le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde, c'est pour mieux le retourner.