Butor : La Modification
Dès la première phrase, vous entrez dans le livre, ce livre que vous écrivez en le lisant et que vous finirez par ramasser sur la banquette du train qui vous a conduit de Paris à Rome, non sans de multiples arrêts et détours.
Le troisième roman de Michel Butor, paru en 1957, la même année que La Jalousie d'Alain Robbe-Grillet, Le Vent de Claude Simon et Tropismes de Nathalie Sarraute, reçut d'emblée un excellent accueil de la critique. Couronné par le prix Renaudot, traduit dans vingt langues, c'est encore aujourd'hui le plus lu des ouvrages du Nouveau Roman.
« J'étais fasciné par les villes. Je le suis toujours, mais j'ai pris un recul différent. Pour mieux voir et réfléchir, j'avais besoin de parler d"une ville depuis une autre. Ainsi j’ai écrit Passage de Milan, étude sur Paris, quand j’étais en Angleterre. L’Emploi du temps, qui se déroule en Angleterre, a été écrit à Paris et en Grèce. Dans ce livre, la ville était devenue le personnage principal. J’avais envie, peut-être en souvenir du roman de Dickens A tale of two cities, de faire un ouvrage avec deux villes. Il leur fallait une liaison organique, historique. Mes premiers voyages à Rome m’ont révélé le rôle de modèle que cette ville avait joué, continuait à jouer pour la mienne. Peu à peu, à cause sans doute du fait que mon père travaillait dans l’administration d’abord des chemins de fer du Nord, puis de la SNCF et que nous avions des facilités pour utiliser le train, c’est ce moyen de transport que j’ai utilisé pour relier les deux villes. Déjà dans L’Emploi du temps j’avais été frappé par la présence de villes les unes à l’intérieur des autres. Ici j’avais un exemple particulièrement frappant. J’ai fait plusieurs voyages à Rome pour approfondir la question. J’hésitais entre deux formes de récit : la première ou la troisième personne, jusqu’au jour où je me suis dit que la seconde existait aussi, et que d’ailleurs je n’étais pas le premier à l’employer, que c’était la forme par excellence aussi bien de la pédagogie que du réquisitoire. J’ai terminé l’écriture de ce livre à Genève où j’étais professeur à l’École internationale. Je préparais les élèves au baccalauréat français et à la maturité suisse. J’enseignais non seulement le français et la philosophie, ce pour quoi j’étais préparé, mais aussi l’histoire et la géographie, ce qui était beaucoup plus difficile. J’avais besoin de bien travailler les manuels avant d’en exposer le contenu, ce qui m’a été très utile pour l’écriture de Degrés et de tout ce qui est venu par la suite. »
Michel Butor, décembre 2005.