Blanchot : Le très haut
"Je n'étais pas seul, j'étais un homme quelconque. Cette formule, comment l'oublier ?
Durant mon congé de maladie, j'allai me promener dans un quartier du centre. Quelle belle ville, me disais-je. En descendant dans le métro, je heurtai quelqu'un, qui m'interpella sur un ton brutal. Je lui criai : "Vous ne me faites pas peur." Son poing se détendit avec une rapidité fascinante, je m'écroulai à terre. Il y eut un attroupement. L'homme essaya en vain de se perdre dans la foule. Je l'entendais protester rageusement : "C'est lui qui m'a bousculé. Qu'on me fiche la paix !" Je n'avais pas de mal, mais mon chapeau avait roulé dans l'eau, je devais être blême, je tremblais. (Je relevais de maladie. On m'avait dit : pas de secousse.) Un agent sortit de la cohue et nous invita calmement à le suivre. Nous montâmes les escaliers, séparés l'un de l'autre par tout un groupe. Lui aussi était pâle et même livide. Au commissariat, sa colère éclata."