Blanchot : Lautréamont et Sade
* Première publication aux Éditions de Minuit en 1949 (collection « Propositions » n°6, épuisé). Première réédition en 1963 dans la collection « Arguments », avec le texte intégral, dans la version d’origine, des Chants de Maldoror (384 pages, épuisé). Les rééditions suivantes ne comportent plus le texte de Lautréamont.
Qu’il soit question de Sade ou de Lautréamont, ce à quoi vise ce livre, c’est à élucider quels rapports entretiennent le mouvement d’écrire et le travail d’une plus grande raison, soit que celle-ci se prépare, soit qu’elle se modifie, soit qu’elle se prépare en se ruinant. Dans le cas de Sade, nous voyons, au moment où Hegel sort à peine du “ Stiff ” de Tübingen où il se lia à Hölderlin et à Schelling, s’affirmer l’exigence d’une dialectique au sens moderne, la prétention de fonder la souveraineté raisonnable de l’homme sur un pouvoir transcendant de négation, lequel exprime et, tour à tour, annule, par une expérience circulaire, les notions d’homme, de Dieu, de nature, pour affirmer finalement l’homme intégral, “ l’homme unique dans son genre ”. Dans le cas de Lautréamont, c’est à une expérience non moins centrale que nous assistons, recherche d’une droiture par le détour qu’est l’écriture, travail géant d’un être enfoui qui peu à peu se lève, s’édifie et à la fin apparaît au jour, prêt à se confondre avec le jour. Seulement, dans cette expérience qu’est Maldoror, le travail s’accomplit à l’intérieur même de l’œuvre : par la gravitation des thèmes, la trituration des images, le retour et la transformation des mots, l’obsession et la métamorphose des motifs – ce qui veut dire qu’ici, “ l’espérance d’une tête ”, la promesse d’une lucidité ironique, se confond avec la genèse d’une forme.