Salatko : Le parieur
Une nuit de Noël, je me suis allongé dans la neige au fond du Bois de Boulogne, décidé à me laisser mourir de froid. Mais une femme m’a sauvé et hébergé chez elle contre toute logique. Sur un ton où l’autorité le disputait à la douceur, comme en échange d’un service que je ne lui avais pas demandé, elle exigea que je lui raconte ma vie.
J’avais tout sacrifié à l’écriture. Mon père, lui, avait tout sacrifié au jeu. Durant mon enfance, il désertait notre maison du Cotentin à la moindre occasion pour assouvir son vice et il régla d’un coup les problèmes de mon adolescence en m’expédiant dans un collège irlandais.
Jeune homme, au moment précis où je crus ne plus devoir entendre parler de lui, au moment où je publiais mon premier roman avec éclat et rencontrais un célèbre cinéaste prêt à m’encourager dans la carrière artistique, mon père trouva le moyen de mourir assassiné.
Mon père, ma malédiction ! Ce dandy, ce flambeur, ce golfeur de génie avait laissé des dettes, dont ses anciens complices qui organisaient des paris sur ses parties truquées, me tenaient pour comptable ! Je dus troquer la plume contre un club de golf, et me laisser trimballer de green en green dans un camping-car déglingué pour effacer l’ardoise paternelle.
Voilà ce qui m’avait fait renoncer à l’écriture.
Tandis que je la racontais à une inconnue, je découvris que l’histoire de ce renoncement constituait la trame d’un étonnant roman noir…