Goby : La note sensible
Monsieur,
Tout a commencé le 15 Octobre dernier. Il était minuit dix lorsque vous avez sonné. Je me suis levée, j'ai traversé le salon sur la pointe des pieds. J'ignorais qui était mon visiteur du soir , tout me portait à croire que c'était vous. A mi-chemin entre ma chambre et la porte d'entrée, une latte a grincé. Nos cloisons ne sont pas épaisses. Sans doute m'avez-vous entendu approcher.Je ne savais presque rien de vous. La rumeur avait suffi à me bouleverser. Je craignais votre rencontre. J'ai attendu là, au milieu de la pièce. Il faisait froid. Je ne connaissais pas votre visage, je vous avais toujours évité. La semaine dernière, alors que je m'approchais du palier, j'ai entendu vos clés tourner dans la serrure. J'ai dévalé les marches, j'ai couru au bout du couloir pour ne pas vous croiser. Vous êtes passé sans me voir. Par précaution j'ai fermé les yeux.
Cette nuit d'Octobre, vous avez attendu de longues minutes sur le palier. La lumière du néon filtrait sous ma porte. Je ne quittais pas des yeux cette rayure blanche, une meurtrière. Quelques minutes seulement, et puis il ferait noir. Vous partiriez. La lumière s'est éteinte. Vous êtes rentré chez vous. Quand vous avez tiré la porte, je suis revenue à mon lit. Je me suis couchée. Vous aussi. Vous étiez tout proche. Nos fronts auraient pu se toucher. Nous nous sommes endormis.Je n'ai jamais connu de vous qu'un univers sonore, où dominait Mozart et votre violoncelle. Vous jouiez. Les voix chantaient. J'écrivais. Votre musique est dans ce manuscrit. A vous entendre, j'ai eu peur de vous aimer. Je vous ai fui. J'ai écrit ce qui aurait pu être notre histoire. Ne me demandez pas pourquoi. Je ne vous demande pas pourquoi vous avez joué pour moi du violoncelle, chaque soir, pendand des mois. Quand vous aurez terminé votre lecture, je serai nue devant vous, et pourtant moins vulnérable qu'au soir du 15 Octobre. Je n'aurai plus rien à dissimuler, pas même de l'amour.