Semprun : Le mort qu'il faut
«... Dans le brouhaha de la boîte de jazz, dans la fumée des cigarettes, nous avions levé nos verres et trinqué à la santé de Walter Bartel.
- Rotfront ! s'était écrié Jiri Zak.
Et je lui avais répondu :
- Rotfront !
Front rouge ! C'était le salut des communistes allemands, autrefois, à l'époque sectaire et exaltante, misérable et glorieuse, de la lutte finale et du mot d'ordre apocalyptique : classe contre classe !
Beaucoup plus tard, alors que nous commencions à devenir pâteux - mais la musique était à chaque instant meilleure, plus maîtrisée et plus sauvage à la fois -, Jiri Zak s'était penché vers moi, compagnon de mémoire et de beuverie.
- Toi qui écris, tu devrais donner une suite au Grand voyage...
Il avait dit Grosse Reise, bien sûr : nous parlions en allemand. Il avait lu mon livre en allemand.
- Tu devrais raconter la nuit au Revier, à côté de ton Musulman. Tout ce qui va avec...»